mercredi 16 août 2017

Hyakunin isshu, poème n° 78 : 淡路島


Minamoto no Kanemasa (源兼昌) est un poète de cour peu connu, qui n'a pas laissé de recueil personnel. Je n'ai pas trouvé d'explication sur le choix du thème - l'exil. Peut-être un sujet de concours ?


淡路島
通ふ千鳥の
鳴く声に
いく夜寝覚めぬ
須磨の関守

あわじしま かようちどりの なくこえに いくよねざめぬ すまのせきもり 

淡路島 : c'est le nom d'une grande île (島) au sud-ouest de Suma (須磨, cf. dernier vers) souvent chantée en poésie. Au nord se trouve le détroit d'Akashi, dangereux passage pour les bateaux quittant Naniwa pour rallier Kyûshû ou Shikoku ;
通ふ千鳥の : 千鳥 (チドリ) désigne le pluvier, un oiseau très présent dans la poésie japonaise. Depuis sa première apparition dans le poème n° 266 du Man'yôshû, il est associé aux souvenirs que l'on ressasse les nuits d'insomnie, lorsque les cris des pluviers maintiennent éveillés. Notons également que le pluvier est traditionnellement associé à l'hiver. Ces pluviers vont et viennent (通ふ, rentai-kei) entre la plage de Suma (considérée comme un 名所, un lieu fameux en raison de ses qualités esthétiques) et l'île d'Awaji. Visiblement, les commentateurs ont longuement débattu pour savoir dans quel sens allaient les oiseaux (de l'île vers la côte, de la côte vers l'île ?). の est ici l'équivalent d'un が, faisant de 千鳥 le sujet de 鳴く ;
鳴く声に : 鳴く (rentai-kei) signifie crier (pour un animal) ; 声, la voix, le cri ; に a ici le sens de "à cause de" ;
いく夜寝覚めぬ : いく a ici le sens de combien, いく夜 combien de nuits ;  寝覚め est la renyou-kei de 寝覚む (se réveiller, être réveillé) ; ぬ (shûshi-kei) indique ici l'achèvement de l'action (on aurait dû avoir la rentai-kei ぬる pour que le vers soit grammaticalement juste) ;
須磨の関守 : 須磨, Suma, le lieu d'exil ; 関守, c'est le gardien d'un poste de contrôle.

Suma est aujourd'hui un arrondissement de Kobé mais à l'époque c'est un lieu d'exil, celui (réel) de Ariwara no Yukihira et celui (fictif) du Genji (光源氏) dans le Dit du Genji. Dans le chapitre intitulé Suma, le prince entend la nuit le cri des pluviers et s'en trouve réconforté (1). L'île d'Awaji est également un lieu d'exil où l'on a déporté des rebelles politiques tant à l'époque Nara qu'à l'époque Heian. Ces deux noms sont donc associés à la tristesse et à la solitude. De plus le 千鳥 évoque un poème de l'empereur Sutoku (崇徳院), auteur du poème 77 et autre exilé célèbre.

Les cris des pluviers
qui vont et viennent à l'entour
de l'île d'Awaji
combien de nuits ont-ils réveillé
le gardien de Suma ?


(1) Murasaki Shikibu, Le Dit du Genji, trad. René Sieffert, Verdier, 2011, p. 336

Index en romaji : awaji shima kayofu chidori no naku koe ni ikuyo nezamenu suma no sekimori

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