mercredi 12 juillet 2017

Hyakunin isshu, poème n° 76 : わたの原


Après les difficultés du poème 75, ce waka de Fujiwara no Tadamichi (藤原忠通) agit comme un baume consolateur : quelques vers simples, pleins de vocabulaire familier, sans allusion tordue à quoi que ce soit. Oh, joie !

Le plus compliqué, dans ce poème c'est le titre dont est affublé son auteur dans le Hyakunin Isshu : 法性寺入道前関白太政大臣 (Hosshôji Nyûdô Saki (no) Kanpaku Daijô-daijin. Cela se décompose comme suit :
法性寺入道 : novice (入道) du temple Hosshôji (法性寺)
前関白 : ancien (前) Kanpaku (関白, parfois transcrit Kampaku) ; c'est en quelque sorte le premier ministre, c'est-à-dire celui qui exerce réellement le pouvoir depuis que les Fujiwara en ont plus ou moins dépossédé l'empereur ;
太政大臣 : grand chambellan
Autrement dit "novice du temple Hosshoji, ancien premier ministre et grand chambellan".

Tadamichi, père du moine et poète Jien (poème n° 95), connut une période agitée. Son gouvernement est marqué par les troubles de Hôgen, luttes autour de l'empereur, où s'affirme la domination des Taira et s'aiguisent les tensions avec les Minamoto. Un changement d'ère s'amorce, qui aboutira à la prise du pouvoir des guerriers au détriment de l'aristocratie.

Pour rappel, Tadamichi est également celui qui, dans le poème précédent, n'a pas tenu sa promesse, faite en termes ésotériques... Au final, c'est de sa faute si le poème 75 m'a donné du fil à retordre !

わたの原
漕ぎ出でて見れば
ひさかたの
雲居にまがふ
沖つ白波


わたのはら こぎいでてみれば ひさかたの くもいにまごう おきつしらなみ 

わたの原 : c'est ainsi que débute le poème n°11 (quelle tension pour les joueurs de karuta ! Il faut attendre la 1ere syllabe du 2e vers pour savoir sur quelle carte il faut se jeter). On désigne ainsi la haute mer, わた étant une ancienne façon de désigner la mer et 原 signifiant littéralement plaine ;
漕ぎ出でて見れば : ce vers évoque à la fois le poème n° 11 (漕ぎ出で) et le poème n° 4 (出でて見れば) . 漕ぎ est la renyou-kei de 漕ぐ ramer, faire avancer un bateau en ramant ; elle est accrochée à 出で, la renyou-kei 出づ (出る, sortir, en japonais moderne) ; 出で est lié à 見れば par la conjonction て ; 見れ est la izen-kei de 見る (voir) et la particule ば a ici un sens temporel : "Ramant sur les flots, lorsque j'ai contemplé au loin..." ;
ひさかたの : の marque complément de nom ; ひさかた est un makura-kotoba pour 雲, nuage, et se rapporte au ciel et à sa lumière. On en trouve une cinquantaine d'occurrences dans le Man'yôshû (sous diverses formes 久堅, 久方...) sans qu'on en connaisse précisément le sens, même s'il semblerait qu'il y ait un lien avec l'idée d'éternité, de monde lointain et divin (pour en savoir plus). R. Sieffert traduit invariablement par "du ciel pérenne", M. Revon a choisi ici "l'éternel séjour des nuages", J. Mostow élude le sujet ; je vais prudemment m'en tenir au choix de R. Sieffert, qui m'est devenu familier après la lecture de 3 volumes du Man'yôshû ;
雲居にまがふ : 雲居, les nuages (ou les cieux selon certaines interprétations)  ; まがふ (rentai-kei) est l'équivalent en japonais classique de まがう(紛う), confondre, se tromper ; に a ici pour fonction d'indiquer sur quoi porte la confusion ;
沖つ白波 : 沖, le large ; つ est l'équivalent de の complément de nom (c'est un archaïsme de la période Nara), 白波, les vagues blanches.

Au beau milieu des flots, le navigateur apprécie une vue parfaitement dégagée. Les nuages dans le ciel lointain se confondent avec l'écume des vagues au large.
Apparemment, certains commentateurs se sont acharnés à chercher un sens caché à ce poème (l'habitude, sans doute), tandis que d'autres l'ont pris pour ce qu'il prétend être, un poème composé sur le thème 海上遠望 (contemplation de la mer).

Lorsque ramant sur
la vaste mer je regarde au large,
du ciel pérenne
les nuages se confondent
avec les blanches vagues

Index en romaji : wata no hara, kohi-idete mireba hisakata no kumowi ni magafu okitsu shiranami

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