mercredi 24 mai 2017

Revue de Mooc : Haïku, un monde en 17 syllabes - 2e semaine

Voici un résumé de la deuxième semaine du Mooc sur le haïku, 俳句、十七字の世界, qui porte une attention particulière à la structure des poèmes.

Rapport entre langage poétique et haïgon


A la fin de la première semaine, le professeur Kawamoto avait expliqué qu'une des spécificités du haïkaï était de mélanger 歌語 (kago, le langage poétique utilisé dans le waka) et 俳言 (haïgon, c'est-à-dire le langage interdit dans le waka, notamment le langage populaire, les mots d'origine chinoise, etc). Néanmoins, ce mélange n'est pas une composante obligatoire du haïkaï. On peut ainsi trouver sous la plume de Bashô le hokku suivant...

五月雨に鳰の浮き巣を見に行む
samidare ni / nio no uki su o / mi ni yukan (1)

... que l'on peut traduire : 
Aux premières pluies d'été, 
je m'en vais voir 
le nid flottant du grèbe. 

Dans ce tercet, il n'y a pas de haïgon, tous les mots relèvent du langage poétique. Mais on peut en revanche parler de 俳意 (haï-i, "haïkaï par l'esprit") dans la mesure où l'intérêt pour le nid du grèbe est un goût personnel de l'auteur qui sort du champ habituel de la poésie classique japonaise (2).

Par ailleurs, il ne s'agit pas de mélanger les genres au hasard, comme le montre l'étude approfondie du poème 山里は万歳遅し梅の花.

基底部 (kitei-bu) et 干渉部 (kanshû-bu)


L'idée générale est qu'un haïku combine deux éléments qui ont chacun leur rôle. Dohô (土芳) (3), l'un des disciples de Bashô, auteur du Sanzôshi ("Trois livres"), un traité de poétique destiné à transmettre la pensée du maître telle qu'il l'a comprise, évoque l'idée d'un aller et retour 行き帰り entre ces deux parties, ce que j'ai tenté d'expliquer dans l'analyse de 山里は万歳遅し梅の花.

Kawamoto-sensei propose quant à lui de diviser le haïku en deux parties qu'il nomme 基底部 (kitei-bu) et 干渉部 (kanshû-bu), en précisant bien qu'une telle division n'est pas toujours opérationnelle. La kitei-bu est composée d'une paire 5 + 7 ou  7 + 5 et la kanshû-bu comprend les 5 syllabes restantes. C'est dans la kitei-bu que l'on doit trouver ce qui fait la saveur du haïku, tant sur la forme que sur le fond. C'est là que doit surgir la nouveauté, l'inattendu, le charme qui frappe le lecteur. La kanshû-bu oriente la compréhension du poème et suggère son sens général, en interaction avec la kitei-bu et en laissant toujours au lecteur une marge d'interprétation, propre à ce genre. On y trouve souvent le kigo (mais pas toujours) et on y emploie volontiers le langage poétique pour sa puissance évocatrice (cf. 梅の花 dans l'exemple mentionné ci-dessus).

La qualité maîtresse de la kitei-bu, c'est la fraîcheur, l'inattendu, la nouveauté (dans l'image et dans l'expression). Pour obtenir de la nouveauté dans l'expression (par rapport à la tradition poétique antérieure), il ne suffit pas de mélanger kago et haïgon. On recherche des mots concrets, on utilise la métonymie, le glissement de sens ou le détournement d'une expression classique.

Quant à la kanshû-bu, sa qualité maîtresse est la pertinence avec laquelle elle suggère le sens du tercet et interagit avec la partie principale. Lorsqu'on tient une kitei-bu intéressante, il faut se demander quelle est la kanshû-bu la plus pertinente possible. Kawamoto-sensei prend l'exemple d'un hokku de Bonchô (凡兆), disciple de Bashô, cité dans le livre d'un autre disciple, Kyorai (去来)(4).

下京や雪つむ上のよるの雨
shimogyô ya / yuki tsumu ue no / yoru no ame

Dans la Ville-Basse
sur la neige accumulée
pluie dans la nuit
(trad. René Sieffert) 

雪つむ上のよるの雨 (sur la neige accumulée, pluie dans la nuit) est ici considérée comme la kitei-bu, belle image, intéressante par le contraste entre la neige et la pluie d'une part, entre la blancheur de la neige et la noirceur de la nuit d'autre part. A ce stade néanmoins, le sens, l'atmosphère du poème restent indécis (tristesse et mélancolie ? joie de l'arrivée du printemps qu'annonce la pluie succédant à la neige ?). Bonchô, ayant composé cette partie, se demandait quel chapeau (5 premières syllabes) lui ajouter. Bashô a alors suggéré 下京や. Le caractère 京, la capitale, évoque à lui seul Kyôto、l'ancienne capitale, ses vénérables temples, ses alignements de maisons traditionnelles, la nostalgie d'une autre époque (l'époque impériale, avant le shogunat de Kamakura). Avec 下 (dessous, donc ville basse, la partie populaire), Bashô ajoute une nuance d'humilité, de proximité et de chaleur humaine, qui forme un heureux contraste avec la neige. Les deux parties se répondent et se renforcent.

Peindre d'après nature


Chez Shiki, qui opérera deux siècles après Bashô une "réforme" du haïku, on trouve l'idée que le haïku doit "peindre d'après nature" (写生), une idée empruntée à la peinture et à la littérature réaliste occidentale du XIXe siècle. Le haïku doit donc retranscrire ce que l'on a sous les yeux, ce que l'on sent, sans trituration excessive des mots et des méninges. On trouve d'ailleurs chez Bashô des appels à décrire simplement les choses telles qu'elles sont. Néanmoins, interroge Kawamoto-sensei, comment "peindre d'après nature", avec spontanéité, en 17 syllabes seulement ? Balzac, Flaubert et autres romanciers disposent pour "peindre" de dizaines de pages, et l'impression de réalisme vient de l'attention portée à de petits détails. Comment obtenir la même chose avec un haïku, si ce n'est en travaillant sur l'expression ? La scène initiale, l'émotion, sont des matériaux bruts, des sources d'inspiration, mais pour en faire un tercet digne de ce nom, il faut un travail élaboré de l'expression, qui est souvent fait a posteriori.

***

Voilà pour le résumé de la 2e semaine du Mooc, en espérant avoir dit l'essentiel.またね!

(1) 五月雨 (さみだれ) est à peu près équivalent à 梅雨, période de pluie de mai/juin à début juillet  
(2) à ce sujet, cf. Le Haïkaï selon Bashô (POF), Sanzoshî, livre blanc, § 8.
(3) également appelé Tohô en français, y compris par René Sieffert, qui a traduit ce traité dans le Haïkaï selon Bashô. Néanmoins, Kawamoto-sensei prononce bien Dohô, donc j'ai opté pour la transcription anglaise.
(4) Le traité de Kyorai est lui aussi traduit dans le Haïkaï selon Bashô. L'anecdote en question figure dans le livre I, § 22.

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