mardi 3 septembre 2013

L'unification du Japon (2) - Oda Nobunaga

Oda Nobunaga
Aujourd'hui, poursuite de la série sur l'unification du Japon. Je ne sais pas si Shiba Ryôtarô a consacré à Oda Nobunaga (織田信長) une œuvre à part entière, mais il en parle abondamment dans deux de ses trois romans traduits en français, Hideyoshi, seigneur singe,  et Tokugawa, shôgun suprême. S'il affiche une préférence marquée pour Hideyoshi, soulignant à plusieurs reprises le caractère impitoyable de Nobunaga, il laisse entrevoir le génie singulier de ce seigneur de la guerre, premier des "trois grands héros" (三英) qui ont unifié le Japon. Malgré sa brutalité et sa façon d'utiliser les hommes sans vergogne (à commencer Hideyoshi et Ieaysu), Nobunaga semble bénéficier d'une certaine popularité chez les Japonais, comme en font état plusieurs sondages (ici, ici). Raison de plus pour mieux connaître ce personnage.

Nobunaga naît au château de Nagoya en 1534. Il est issu d'un lignée de shugo-dai (gouverneur militaire de province subalterne) de l'Owari (l'ouest de l'actuelle préfecture d'Aichi). Les Oda ont été affaiblis par la guerre d'Onin, et le père de Nobunaga ne contrôle qu'une petite partie de l'Owari. Son héritier commence par mener une vie dissolue et se taille une réputation d'arrogance et de brutalité (qu'on retrouve dans l'histoire du coucou). C'est le suicide de son tuteur qui l'amène à s'amender et réveille son ambition.

Son ascension commence par l'élimination de ses concurrents en Owari. Il défait ensuite un de ses puissants voisins, Imagawa Yoshimoto, et s'allie avec Matsudaira Motoyasu, (le futur Tokugawa Ieyasu). Celui-ci, après avoir été l'otage des Oda puis des Imagawa, retrouve alors le contrôle de la province du Mikawa, et protège ainsi le flanc est de Nobunaga, facilitant grandement l'expansion de ce dernier vers le sud et vers l'ouest. Nobunaga s'empare de la province du Mino et du château d'Inaba, qu'il rebaptise Gifu.

L'ambition de Nobunaga le mène ensuite à Kyoto, en principe pour soutenir les prétentions de Ashikaga Yoshiaki au shogunat. Rapidement, cette alliance de circonstance avec le dernier des shogun Ashikaga se défait. Une coalition anti-Nobunaga unit le shogun, Asakura Yoshikage, Azai Nagasame, Takeda Shingen, et deux importantes sectes bouddhiques, la secte Ikko et la secte Tendai. Nobunaga va devoir abattre l'un après l'autre tous ses ennemis, mais ses luttes les plus acharnées sont celles qui l'opposent aux sectes religieuses.

En 1571, sans égard pour le prestige intellectuel et religieux de la secte Tendai (notamment auprès de l'aristocratie), il abat la force militaire de celle-ci en se livrant à un véritable massacre, tant des moines du temple Enryaku-ji que de la population civile du Mont Hiei, où est établi le monastère. Il lui faut plus de temps pour venir à bout de la secte Ikko (vers 1580) et soumettre avec elle les communautés villageoises et urbaines les plus résistantes, autour de Kyoto et Nara. 

Bien avant cela, en 1573, Nobunaga chasse le shogun  de Kyoto, mettant un terme définitif au règne des Ashikaga. La chance lui sourit puisque Takeda Shingen, l'un de ses ennemis les plus redoutables, meurt la même année. Reconnaissant le prestige des titres décernés par la cour impériale, Nobunaga se fait nommer en 1577 "ministre de droite". Luttant pied à pied pour étendre son territoire, il innove dans ses stratégies militaires, notamment par un emploi judicieux des armes à feu (ce qu'illustre très bien la vidéo de NHK for school qui lui est consacrée). La chance le favorise une seconde fois lorsque Uesugi Kenshin, autre ennemi redoutable, meurt avant qu'ils aient pu s'affronter de manière décisive. Nobunaga en profite pour s'emparer de quelques provinces supplémentaires, tandis que Hashiba (le futur Toyotomi Hideyoshi) lui en conquiert d'autres.

C'est peu après l'élimination définitive de la maison des Takeda, avec l'aide de Ieyasu, qu'il est trahi et attaqué par surprise par l'un de ses vassaux, Akechi Mitsuhide, lors d'une halte à Kyoto. Cerné, il se donne la mort au milieu des flammes du temple Honnô-ji. Les motivations de Mitsuhide sont assez obscures : il est possible qu'il ait simplement voulu tenter sa chance dans cette grande course à la domination du pays. La mort de Nobunaga ouvre la voie à Hideyoshi, qui par sa promptitude à le venger, affirme aussi sa volonté de prendre sa suite.

Comme je l'ai dit en introduction, Nobunaga a la réputation d'être impitoyable, et les massacres auxquels il s'est livré, son absence de pitié et sa méfiance à l'égard de ses propres hommes y sont sans doute pour beaucoup. Shiba Ryôtarô montre pourtant l'originalité de ce personnage qui promeut les hommes selon leur mérite et leur loyauté, sans se soucier de leur origine et sans lequel Hideyoshi n'aurait sans doute jamais pu accéder à de telles ambitions. Il innove aussi en se faisant construire un château avec donjon à Azuchi, et en réunissant à son pied guerriers et vassaux, afin de mieux les contrôler. Enfin, il favorise les échanges commerciaux (marché libre d'Azuchi). Ne cherchant pas à reprendre le titre de shogun, et se posant en défenseur de l'empereur, il n'a en revanche guère le temps de mettre en place de nouvelles institutions.

On peut enfin noter que l'ouverture d'esprit dont il fait preuve dans le choix de ses subordonnés s'observe aussi sur le plan religieux. Précisons pour commencer qu'il ne faut pas se méprendre sur l'attitude de Nobunaga à l'égard des sectes bouddhiques. Aucun sentiment anti-religieux n'agite cet athée, curieux de toutes les doctrines au point d'organiser des confrontations entre théologiens chrétiens et bouddhistes. Il souhaite séparer définitivement le pouvoir religieux du pouvoir politique, et briser la puissance militaire des temples, parce qu'elle lui fait obstacle. Vivement intéressé par l'Occident (notamment par ses armes et ses richesses, qui transitent en grande partie par le port de Sakai, essentiel à son ascension), c'est aussi pour affaiblir les sectes qu'il protège les premiers pas du christianisme au Japon, sans se laisser convertir.

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Voilà pour un petit aperçu du personnage. D'après mon amie Asami-san, si Nobunaga est populaire, c'est parce qu'il fait figure d'ikemen (bel homme) et que son destin éclatant a été brisé en plein essor par la trahison de Mitsuhide. Cette destinée brillante et inachevée confère au personnage une touche de romantisme qui ajoute au charme de sa personne.
La prochaine fois, je vous parlerai d'Hideyoshi, un tout autre personnage ! それでは、また。

Sources :  
Histoire du Japon des origines à nos jours, sous la dir. de Francine Hérail, Hermann, 2010
Dictionnaire historique du Japon, coll., Maisonneuve et Larose, 2002.

1 commentaire:

Centon a dit…

Bonjour peut-être serez-vous intéressés par ce livre (roman historique) que nous venons d'éditer : Oda Nobunaga.
http://www.centon.net/livres/oda-nobunaga/
A bientôt