vendredi 4 mai 2012

Le gourmet solitaire - Jirô Taniguchi

Le Luffy de One Piece, le Yoshio de Résidence Dokudami (Vagabond de Tokyo) et le gourmet solitaire de Taniguchi (孤独のグルメ) ont un point commun : ils ont une sacrée dalle. Constamment, sempiternellement. On croirait les entendre crier en cœur : めし ! meeshiii ! Néanmoins, les deux premiers ne sont pas très raffinés, Luffy, parce que ce n'est pas son genre, Yoshio, parce qu'il n'en a de toute façon pas les moyens. Le gourmet solitaire, lui, est à l'abri de tout souci financier et il a le temps de choisir, même si son appétit se fait parfois impérieux.


Inogashira - c'est le nom du gourmet, que l'on peine à trouver - est un commercial apparemment sans attache, qui passe son temps à sillonner Tokyo. Quelques femmes ont traversé sa vie, mais ce ne sont que de pâles souvenirs, moins marquants que ceux des restaurants qu'il a aimés. Pas d'amis, seulement des clients. Pas de boutique, ce serait trop prenant. Pas de famille, à l'exception d'un neveu qu'il vient encourager lors d'un match de base-ball. Bref, un vrai solitaire, qui n'ouvre la bouche que pour négocier avec ses clients ou commander des plats, jamais pour causer avec ses voisins de tables ou de comptoir. Le regard qu'il promène sur le monde est parfois amusé (lorsqu'il retrouve une bonne vieille ambiance d'autrefois), parfois attristé (lorsque les choses ont changé ou qu'il ne les comprend pas), un peu hautain, non exempt de préjugés (en bon Tokyoïte à Osaka, par exemple). En résumé, pas antipathique, mais pas vraiment attachant non plus. Un hédoniste dont le seul lien avec la société dans laquelle il vit semble être culinaire.

Passons à table, puisqu'au fond, c'est là qu'il met toute son âme. Inogashira est sans cesse à la recherche du meilleur boui-boui, de la bonne table où l'on sert des spécialités maison, qu'il déguste avec une curiosité gourmande. Il arrive néanmoins qu'il s'emballe quand il commande, réalisant un peu tard que ses plats se combinent mal ou qu'il a eu les yeux plus grands que le ventre : gourmet, mais pas toujours très lucide... Il est également capable de s'empiffrer de plats de supérette ou de se faire sauter la panse dans un yakiniku de banlieue industrielle, tel un Chôji encravaté. Gourmet, mais pas toujours raffiné non plus.

Le Gourmet solitaire nous plonge dans le quotidien d'un Japon affairé et gourmand, avec un cicerone qui ressemble un peu à monsieur tout le monde, à ceci près qu'il semble avoir un peu plus de temps que les autres, et le loisir d'aller là où son appétit le mène. Sa solitude ne lui pèse pas, mais est-elle pourtant si légère ? On s'attendrait à ce qu'un ventre bien rempli dénoue la langue, donne envie de causer et de partager son plaisir d'avoir bien mangé. D'autant plus qu'il a le temps... Est-ce une impression, ou notre gourmet se défie-t-il un peu du contact humain ? Ne s'inquiète-t-il pas trop du regard des autres, dans ses sempiternels monologues intérieurs, qui sonnent parfois un peu faux, comme lorsqu'on parle tout seul pour meubler le silence. Croit-il à ce point nécessaire de défendre sa solitude ? A-t-il peur d'être envahi ? C'est un étrange portrait que nous livre Taniguchi, car on pourrait penser qu'un tel hédonisme gourmet soit finalement plus partageur.

Si je préfère de loin 歩くひと(L'homme qui marche), plus chaleureux, voilà tout de même un beau panorama de la gastronomie japonaise, qui ouvre l'appétit et donne envie de prendre ses baguettes.いただきます!


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