vendredi 13 avril 2018

Hyakunin isshu, poème n° 99 : 人も愛し


Le poète du jour est l'empereur Go-Toba (後鳥羽). Sa tentative de restaurer le pouvoir impérial en se soulevant contre le bakufu de Kamakura, à la mort de Minamoto no Yoritomo, fut un échec et lui valut de mourir en exil. Néanmoins, ses années de règne, comme empereur puis comme empereur retiré, l'ont conduit, pour relever le prestige de la cour, à valoriser de nombreux aspects de la culture japonaise, à commencer par la poésie, conçue comme un instrument politique. C'est notamment lui qui ordonne la compilation du Shin Kokinshû. Outre sa fière révolte, on lui attribue 254 poèmes dans diverses anthologies impériales. Celui-ci figure dans le Shokugosen wakashû (n° 1199).

人もおし
人も恨めし
あぢきなく
世を思ふゆゑに
もの思ふ身は 

(ひともおし ひともうらめし あじきなく よをおもうゆえに ものおもうみは)

人もおし : 人, les gens ; も, associé à celui du vers suivant, sert à établir un parallèle entre les deux vers ; おし, qu'on peut écrire 愛し ou 惜し (shûshi-kei, 愛しい en japonais moderne) signifie "aimé, cher, adorable" ;
人も恨めし : 恨めし (shûshi-kei, 恨めしい en japonais moderne) signifie "détesté, détestable". Plusieurs interprétations possibles : "certains hommes me sont chers et d'autres odieux" (deux groupes différents) ; "les hommes me sont parfois chers, parfois odieux" (même groupe, variation dans le temps) ;
あぢきなく : あぢきなく est la renyou-kei de あぢきなし(あじきない en japonais moderne). Si le sens moderne penche plutôt du côté de "ennuyeux, dénué de sens et d'intérêt", ici, il y a en sus l'idée que les choses ne vont pas comme l'on veut, en lien avec 世を思ふ ;
世を思ふゆゑに : 世, le monde, la société ; 思ふ (rentai-kei, 思う en japonais moderne), penser, se préoccuper ; ゆゑに (ゆえに) marque la cause
もの思ふ身は : もの思ふ (rentai-kei) évoque une pensée anxieuse, tourmentée, qui n'a cette fois rien à voir avec l'amour ; 身 désigne le poète, c'est l'équivalent d'un "je, moi" ; は est emphatique.

Ce poème aurait été écrit en 1212, avant la révolte de Jokyû et l'exil qui suivit. On sent néanmoins que l'empereur est déjà bien désabusé face à ce monde où le pouvoir lui échappe mais dont il ne peut détourner sa pensée, en bon souverain. L'ensemble, notamment les deux derniers vers, est une fois de plus difficile à traduire. Vous trouverez ici de multiples tentatives, dont certaines sont aussi poétiques qu'éloignées du texte. Voici la mienne :

Certains me sont chers,
d'autres me sont odieux,
parce que vainement
ce monde occupe ma pensée,
moi qui suis toujours tourmenté.


Index en romaji : hito mo oshi hito mo urameshi ajikinaku yo wo omou yue ni mono omou mi ha

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