vendredi 23 mars 2018

Hyakunin isshu, poème n° 97 : 来ぬ人を


Enfin, le voilà, le poème de Teika ! Pour ceux qui l'auraient oublié, je rappelle que c'est Fujiwara no Sadaie (藤原定家), ou Teika, qui a rassemblé les cent poèmes du Hyakunin Isshu. Ce poète émérite, fils de Shunzei, compilateur en chef du Shin Kokinshû et du Shin Chokusenshû, est aussi un grand critique et philologue. Il a joué à ce titre un rôle déterminant dans l'histoire de la littérature japonaise. En effet, c'est en grande partie à ses copies que l'on doit la conservation d’œuvres majeures de l'époque Heian, notamment bon nombre de monogatari (à commencer par Le Dit du Genji) et de nikki (journaux poétiques). En somme, tout amateur de littérature japonaise classique a une dette envers lui.

Teika n'a bien sûr pas oublié de glisser l'une de ses propres compositions dans cette anthologie très personnelle qu'est le Hyakunin Isshu. D'après la notice qui le précède dans le Shin Chokusenshû (n° 849), il s'agit d'un poème d'amour, écrit du point de vue d'une femme, dans le cadre d'un concours en 1216.

来ぬ人を
松帆の浦の
夕なぎに
焼くや藻塩の
身もこがれつつ

(こぬひとを まつほのうらの ゆうなぎに やくやもしおの みもこがれつつ)

来ぬ人を : 来 est la mizen-kei de 来く, ぬ est la rentai-kei de la négation ず (ne pas venir); 人 désigne l'être aimé, を marque le complément d'objet de まつ, attendre, au vers suivant ;
松帆の浦の : 浦 désigne une baie, une plage, le rivage et 松帆, Matsuho, est le nom de cette baie (au nord de l'île d'Awaji dans la préfecture de Hyôgo). Les deux の marquent le complément de nom ; il y a un très classique jeu de mots sur まつ qui peut se comprendre 松 (le pin) ou 待つ (attendre), et se rattacher ainsi au vers précédent ;
夕なぎに : 夕, le soir ; 夕なぎ désigne un moment où le vent se calme, le soir, en bord de mer ; に marque le moment ;
焼くや藻塩の : 焼く (rentai-kei) signifie griller, faire cuire ; や est exclamatif ; 藻塩 désigne un processus d'extraction du sel à partir de la cuisson des algues ; の, ici équivalent de のように, établit ici une comparaison entre 焼く藻塩 et 身 ;
身もこがれつつ : 身, je, moi ; も est emphatique ; つつ indique la répétition d'une action qui se perpétue ; こがれ est la renyou-kei de 焦がれる, qui signifie brûler. C'est l'occasion d'un nouveau jeu de mots, puisque cela peut s'appliquer aussi bien à l'amour (usage le plus commun) qu'aux algues.

Seule sur le sable... Une amante - fille de pêcheur ramassant des algues et des coquillages - attend avec ferveur son bien-aimé, soir après soir (つつ) brûlant d'amour comme brûlent ces algues dont on extrait le sel sur la plage. Ce poème est considéré comme une variation sur un chôka du Man'yoshû (Livre 6, n° 935).


Pour lui qui ne vient
sur la plage de Matsuho
dans le soir tranquille
comme les algues que l'on brûle
moi aussi, je me consume.

Index en romaji : konu hito wo matsuho no ura no yuunaki ni yaku ya moshio no mi mo kogare tsutsu

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