mercredi 7 juin 2017

Revue de Mooc : Haïku, un monde en 17 syllabes - 4e semaine (intro)

@鈴木寿雄、はいくのえほん、足立美術館

Avant d'aborder la 4e et dernière semaine du mooc sur le haïku, je résume ici l'analyse approfondie à laquelle se livre Kawamoto-sensei sur ce très fameux hokku de Bashô :

閑さや岩にしみ入る蝉の声 
しずかさやいわにしみいるせみのこえ
shizukasa ya iwa ni shimi-iru semi no koe 

Ah ! le silence
et vrille et vrille le roc
le cri des cigales

(trad. René Sieffert, in La sente étroite du bout du monde, Journaux de Voyage)


閑さ signifie, quiétude, silence. Après le kireji や, 岩に signifie dans le roc, しみ入る, pénétrer, imprégner et 蝉の声 évoque le cri/chant (声) des cigales (蝉) et indique la saison, l'été (voir aussi cet article sur les cigales japonaises). Nous avons donc là les deux principales figures de style évoquée en semaine 3, le paradoxe (silence / chant bruyant des cigales) et l'hyperbole (le chant de la chétive cigale qui perce le roc).

しみる (染みる、浸みる) s'applique en général à quelque chose de liquide ou de gazeux (eau, vent, odeur...). On a donc ici une métaphore comparant le cri des cigales à quelque chose de liquide, ce qui n'est pas sans précédent dans la culture japonaise. On trouve ainsi l'expression 蝉時雨 (cigales + pluie saisonnière) comparant le chant de multiples cigales au bruit d'une averse. Cette image est devenue populaire en poésie après la période Muromachi. Il y a ici contraste entre cet élément sonore/liquide, apparemment dénué de force, et la dureté de la pierre qu'il est censé entamer.

Plus que la pierre, ce que pénètre le chant des cigales, c'est le cœur de l'homme : si le roc dur est pénétré, a fortiori le cœur du poète l'est aussi. 岩にしみ入る est en effet un détournement de l'expression classique 身にしむ (身 = moi, mon corps), que l'on trouve dans de nombreux waka. Avec cette allusion à 身にしむ, Bashô évoque le fameux もののあはれ, ce sentiment de compassion mélancolique face à la vie humaine, aux choses, à l'éphémère, aux changement des saisons, etc... C'est un sentiment généralement associé à l'automne, notamment au crépuscule d'automne (秋の夕暮れ)

La saison évoquée ici est l'été. Ce qui provoque le もののあはれ c'est le contraste entre la cigale pleine de vigueur, comme en témoigne son cri bruyant, et le peu de jours qui lui restent à vivre. En effet, lorsque la cigale chante, elle est dans la dernière année de son existence, et meurt après la reproduction si aucun prédateur ne la dévore avant. Le cri des cigales évoque donc la brièveté de l'existence, l’impermanence.

Dans une première version du hokku, 閑さや était remplacé par さびしさや , c'est-à-dire la solitude, ce qui rendait plus évident le sentiment de compassion et de mélancolie inspiré par la cigale. En optant pour 閑さや et l'idée de calme et de silence, Bashô accentue le contraste avec le caractère bruyant des cigales. On observera que c'est un choix mûrement réfléchi, a posteriori : le haïku est moins le résultat brut d'une inspiration soudaine qu'un travail littéraire, maintes fois retouché, dont l'inspiration et la fulgurance ne sont que la matière première.

Ainsi, dans ce poème, la kanshû-bu (閑さや) ne vient pas renforcer le sens de la kitei-bu (岩にしみ入る蝉の声), ni planter le décor. Mais ce n'est pas non plus un jeu d'opposition gratuit. Cette idée qu'un bruit, dans la nature, peut révéler un silence et un calme profonds est déjà présente dans la poésie chinoise et s'est transmise au Japon. Au milieu du chœur des cigales, l'âme s'apaise. En remplaçant さびしさや par 閑さや, Bashô substitue à la plainte triste et solitaire de la poésie classique le sabi et le sentiment d'impermanence.  

Là encore, on constate que les 17 syllabes d'un haïku contiennent tout un univers et qu'en peu de mots cette forme poétique peut atteindre une profondeur insoupçonnable au premier abord. 

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