jeudi 8 décembre 2016

Hyakunin isshu, poème n° 62 : 夜をこめて

Sei Shônagon viewing the snow
Utagawa Yoshitora, Museum of Fine Arts Boston,
via Wikimedia Commons
Voici un poème de la célèbre Sei Shônagon (清少納言), l'un des plus grands auteurs de l'époque Heian. Ses délicieuses Notes de chevet (枕の草子), brièvement évoquées ici, figurent parmi les œuvres majeures de la littérature japonaise et constituent un magnifique et émouvant témoignage de son indéfectible loyauté à l'égard de l'impératrice Teishi, qu'elle suivit dans sa disgrâce (c'est du moins ce que l'on suppose). Tout l'ouvrage est empreint d'une fraîcheur qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’œuvre de ses contemporaines.

Le waka ci-dessous a été publié dans le Goshûishû, mais on le retrouve dans les Notes (note 62, p. 177). S'il semble éconduire avec sévérité un prétendant indésirable, il n'est pas à prendre au sérieux. Il s'agit plutôt d'une spirituelle passe d'armes entre la belle et son ami Yukinari, à propos du coq de Menchang (voir ci-dessous) et de la fameuse "Barrière des rencontres".

夜をこめて
鳥のそら音は
はかるとも
よに逢坂の
関は許さじ


よをこめて とりのそらねは はかるとも よにおうさかの せきはゆるさじ

夜をこめて : 夜, la nuit, こめ est la renyou-kei de こむ (こめる en langue moderne) et て lie cette proposition à la suivante. 夜をこむ donne l'idée de plonger au cœur de la nuit ;
鳥のそら音は : 鳥, l'oiseau, そら音, imitation du cri d'un animal ; の marque le complément de nom. Ce vers mérite un petit éclairage culturel : il fait référence à un épisode de l'histoire chinoise, à l'époque des Royaumes combattants. Le dénommé 孟嘗君 (Menchang en anglais, Mô Sô en japonais), noble originaire de la province de Qi, avait été envoyé en mission dans la province de Qin et fait prisonnier. Ayant réussi à s'échapper, il lui restait pour rejoindre sa province à franchir une porte. Le garde, qui ignorait l'affaire, avait ordre de n'ouvrir qu'au chant du coq. Pour passer avant que le garde ne soit averti de sa fuite, Menchang demanda à l'un de ses subordonnés, fort doué en bruitages, d'imiter le coq. La porte s'ouvrit, et il put s'enfuir ;
はかるとも : はかる (shûshi-kei) évoque ici l'idée de comploter, ruser, tromper ; とも marque l'opposition (bien que, même si) ;
よに逢坂の関は : よに, "en aucune façon". Nous avons déjà rencontré 逢坂の関 dans le poème n°10, il s'agit d'un poste frontière entre les préfectures de Shiga et Kyôto, où se quittent et se retrouvent beaucoup de gens. Le verbe 逢ふ évoquant la rencontre amoureuse, les "portes d'Osaka" sont assimilées aux portes de l'amour (généralement traduit par "barrière 関 du Mont 坂 des Rencontres 逢" ou "barrière des Rencontres")
許さじ : 許さ est la mizen-kei de 許す, permettre ; じ est une négation impliquant une notion de volonté, et dans ce cas précis, d'interdiction : "je ne permettrai pas que les portes s'ouvrent, même si tu ruses" ! Ou encore "tes fausses paroles (le faux chant du coq) n'ouvriront pas mon cœur" !

Au cœur de la nuit,
ourdiriez-vous d'imiter 
le chant du coq
jamais la barrière des rencontres
ne s'ouvrira pour vous.

Index en romaji : yo wo komete tori no sora-ne ha hakaru tomo yo ni ousaka no seki ha yurusaji

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