jeudi 1 décembre 2016

Hyakunin isshu, poème n° 61 : いにしへの


Nous continuons cette série de poèmes féminins avec Ise no Taifu (伊勢大輔), qui faisait elle aussi partie, comme Murasaki et Izumi Shikibu, de l'entourage de l'impératrice Shôshi (1).

Ce poème a été publié dans le Shikashû (n° 29) ainsi que dans le recueil personnel d'Ise no Taifu, où l'on trouve les éléments nécessaires à la compréhension de ces vers. Chaque année des fleurs de cerisier de Nara, l'ancienne capitale, étaient envoyées à la cour de Heian. On confiait à une dame de cour versée dans l'art poétique la charge de les réceptionner et de composer un waka de circonstance. Cette année-là, Murasaki Shikibu décida de céder cet honneur à une nouvelle arrivée, Ise no Taifu. Sommée par Fujiwara no Michinaga de composer sur le champ, la jeune femme s'en tira ainsi :

いにしへの
奈良の都の
八重桜
けふ九重に
匂ひぬるかな


いにしえの ならのみやこの やえざくら きょうここのえに においぬるかな


いにしへの : いにしへ signifie autrefois ; の marque le complément de nom ;
奈良の都の : 奈良, Nara ; 都, la capitale ; les deux の marquent le complément de nom ; l'auteure fait donc référence au temps où Nara était la capitale du Japon (d'où le "autrefois") ;
八重桜 : 桜, cerisier. 八重桜 désigne les espèces de cerisiers dont les fleurs ont plus de cinq pétales. Certaines variétés présentent des corolles particulièrement denses, avec une centaine de pétales, d'où le nom de yaezakura. En effet, plus que le chiffre 8, 八 désigne la multitude et 重 évoque le verbe 重なる (empiler, accumuler). On a donc l'idée de multiples couches de pétales qui se déploient. En français, on parle de cerisier double ou de cerisier à fleur double, ce que je ne trouve pas particulièrement juste ni élégant. Aussi ai-je choisi de botter en touche et de laisser yaezakura ;
けふ九重に : けふ signifie aujourd'hui et fait écho à いにしへ ; 九重 (litt. neuf couches) désigne la cour impériale ; il y a évidemment un jeu sur les caractères entre 八重 et 九重 ;
匂ひぬるかな : 匂ひ est la renyou-kei de 匂ふ. Ce qui est évoqué ici, ce n'est pas l'odeur (contrairement au sens actuel de 匂い) mais l'idée d'une fleur qui s'épanouit de belle façon. ぬる est la rentai-kei de ぬ, qui exprime l'accomplissement ; かな exprime l'émotion et l'admiration. L'auteure suggère que les fleurs s'épanouissent avec plus d'éclat à la cour de Heian qu'elles ne le faisaient jadis à Nara.
Pas de gros problème de compréhension, mais un beau casse-tête pour traduire sans faire exploser le nombre de pieds. Difficile aussi de sauver le subtil jeu sur 八重/九重... Tant pis.

Les yaezakura
de Nara, capitale
du temps jadis
aujourd'hui en cette cour
fleurissent avec plus d'éclat.

(1) Précisons que cette Ise n'a rien à voir avec les Contes d'Ise, ni avec la Ise, dame de cour, à laquelle René Garde à consacrer un ouvrage.

Index en romaji : inishihe no nara no miyako no yae-zakura kefu kefu kokonoe ni niohi nuru kana

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