mardi 12 janvier 2016

Hyakunin isshu, poème n° 17 : ちはやぶる

Cet article reprend en grande partie l'article que j'avais publié le 8 février 2014 sur Japoninfos, avec quelques modifications et informations complémentaires.



Ce poème du 9e siècle a été écrit par Ariwara no Narihira 在原業平, qui passe pour un habile poète et un grand séducteur. Le premier vers a donné son titre au manga Chihayafuru. On retrouve ce poème dans le Ise monogatari au n° 106 (1) et dans le Kokinshû. D'après le Ise monogatari, le poème aurait été écrit lors d'une excursion sur les bords de la rivière Tatsuta. Selon le Kokinshû, il aurait été composé d'après une peinture sur écran (byôbu) appartenant à une impératrice avec laquelle Ariwara no Narihira aurait eu une aventure de jeunesse (d'ailleurs narrée dans le Ise monogatari).


ちはやぶる
神代も聞かず
竜田川
からくれなゐに
水くくるとは

ちはやぶる  かみよもきかず  たつたがわ  からくれないに  みずくくるとは


ちはやぶる est un makura-kotoba, groupe de mots destiné à mettre en valeur 神, dieux, qui vient juste après. Son sens est discuté. On y trouve les éléments はや (rapide, vif) et ふる (agitation violente), ce qui donne une image de passion et d’impétuosité. Renondeau par "tout puissants", Mostow par "awesome", Revon par "puissants et rapides". Sieffert a choisi pour sa part "impétueux" (2). Même si je ne m'y suis pas rangée tout de suite, je pense que c'est au final la meilleure solution ;
神代 signifie 神の時代 (かみのじだい), c’est-à-dire l’époque légendaire des dieux ;
聞かず, composé de la mizen-kei de 聞く et de la négation ず, est l’équivalent de 聞かない, ne pas entendre. も, qui précède, a ici le sens de « même pas ». On parle donc de quelque chose dont personne n'a entendu parler et que personne n’a pu admirer, même à l’époque des dieux tout-puissants ;
竜田川 est une rivière de la préfecture de Nara, particulièrement appréciée à l’automne parce que les feuilles d’érable rougissantes – phénomène appelé 紅葉(もみじ ou こうよう, littéralement, feuilles écarlates) – tombent dans l’eau et semble la teinter de rouge ;
からくれなゐ doit être lu からくれない。ゐ est un kana archaïque. Cela évoque un rouge vif et profond ;
水 signifie eau et くくる (shûshi-kei) a ici le sens de くくりぞめ、teindre. Si l'on ajoute un dakuten pour obtenir くぐる (3), on obtient le sens de passer dessous. Dans les deux cas, on a l'image de feuilles (jamais mentionnées) qui forment sur la rivière un brocart écarlate, comme si elle était teintée, avec l'eau qui continue à courir dessous. とは qui finit le poème, se rattache à 聞く, entendre. 

La merveille dont on n’a jamais entendu parler, même à la légendaire époque des dieux, c’est la beauté de cette rivière à l’automne. Je vous propose la traduction suivante :

Jamais on n’a ouï dire
fût-ce au temps des dieux impétueux
de la Tatsutagawa
que ses eaux se soient ainsi
teintées de rouge écarlate

(1) Contes d'Ise, trad. G. Renondeau, Gallimard, 1969, p. 160.
(2) Man'yôshû, Livres I à III, POF, commentaire du poème n°101, p.130.

Index en romaji : chihayaburu kamiyo mo kikazu tatsuta gawa karakurenai ni mizu kukuru to ha

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