jeudi 24 septembre 2015

Hyakunin isshu, poème n° 34 : 誰をかも

相生の松 (Wikimedia Commons)




L'auteur de ce poème, Fujiwara no Okikaze (藤原興風) est l'un des trente-six grands poètes. Il évoque ici la douleur de perdre un à un ses amis, lorsque l'on vieillit. On retrouve ces vers dans le Kokinshû (n° 909).




 

誰をかも
知る人にせむ
高砂の
松も昔の
友ならなくに

(たれをかも しるひとにせん たかさごの まつもむかしの ともならなくに)

誰をかも : 誰, qui, を, marque l'objet, か indique le questionnement, も est exclamatif  : "qui donc ?" ;
知る人にせむ : 知る (rentai-kei), connaître, 人 homme. Cela désigne ici un ami proche (qui nous connaît et nous comprend) ; に, pour, comme ; せ est la mizen-kei de す (する en langue moderne), faire et む indique ici l'intention. Cela donne donc, "qui vais-je bien pouvoir prendre pour ami ?"
高砂の松も : 高砂 est un ville de l'actuelle préfecture de Hyôgo, célèbre pour ses pins 松. Dans sa préface au Kokinshû, Ki no Tsurayuki évoque les sources d'inspiration des poètes et mentionne "que les pins de Takasago et de Suminoe leur apparaissent comme des compagnons grandis en même temps qu'eux" (trad. J. Pigeot (1)). Plus tardivement, on a considéré que les pins de Takasago et de Suminoe formait une sorte de couple, évoqué dans une pièce de nô de Zéami, intitulée Takasago. Enfin, on a finit par associer Takasago avec un pin jumeau spécifique, le 相生の松 (cf. photo). Quoi qu'il en soit, seul le premier sens nous intéresse ici, l'idée que le pin de Takasago puisse être vu par les poètes comme un compagnon ayant grandi et vieilli avec eux ; も a le sens de "même...le pin de Takasago" ;
昔の友 : ami 友 d'autrefois 昔 ;
ならなくに : なら est la mizen-kei de なり, équivalent de だ・である en langue moderne ; なくに est une forme complexe (1) qui exprime ici une cause incluant une négation (équivalent à ないのだから, "parce que ce n'est pas").

Même les pins de Takasago ne peuvent être des amis pour notre poète esseulé par son grand âge. Plusieurs interprétations sont possibles : les pins ne peuvent être des amis, parce que ce sont des arbres, qu'ils sont trop purs pour frayer avec un humain ou qu'ils ne suffisent pas aux besoins affectifs du poète pour des raisons évidentes ; ou bien le poète a vécu si longtemps que même les pins de Takasago ne sauraient être des amis de jeunesse pour lui. Quoi qu'il en soit, je vous propose la traduction suivante :

Qui donc désormais
me serait un vieil ami
quand même les pins
de Takasago ne comptent
parmi mes amis d'autrefois ?

(1) Jacqueline Pigeot, Michiyuki-bun, p.117. Il semblerait que pour ce passage précis, la traduction donnée Georges Bonneau dans sa Préface au Kokinshû (p.51-52) soit erronée (lire à ce sujet les convaincantes explications de J. Pigeot).
(2) Pour l'explication détaillée, cf. Classical japanese, a grammar, Haruo Shirane, 6.1 C, p. 68. 

Index en romaji : tare wo ka mo shiru hito ni semu takasago no matsu mo mukashi no tomo naranaku ni

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