mardi 6 janvier 2015

Hyakunin isshu, poème n° 23 : 月見れば





Meilleurs vœux à tous ! Je vous souhaite une année pleine de découvertes et de joies, de japonais et de poésie ! Pour commencer, même si nous sommes en plein hiver, voici un poème automnal de Oe no Chisato 大江千里. Oe no Chisato est réputé pour un recueil de 100 poèmes dont chaque waka interprète et réécrit un poème chinois, notamment ceux de Bai Juyi (Po Chû-i, ou encore Haku Rakuten pour les Japonais), qui exerça de son vivant une grande influence sur la poésie de Heian. Le présent poème, publié dans le Kokinshû (n° 193), ne fait pas partie de ce recueil, mais les commentateurs y voient tout de même une variation autour d'un poème de Bai Juyi, intitulé 「燕子楼」 (La tour de l'hirondelle) (1). On considère généralement qu'un des mérites de Oe no Chisato est d'avoir su produire à partir de cette inspiration chinoise une poésie authentiquement japonaise.


月見れば
ちぢにものこそ
悲しけれ
わが身ひとつの
秋にはあらねど

つきみれば ちぢにものこそ かなしけれ わがみひとつの あきにはあらねど


月見れば : la lune ; 見れば : 見れ、izenkei de 見る (regarder), suivie de la conjonctionば qui indique ici la temporalité ("quand") ;
ちぢにものこそ :  ちぢに (千々に) a ici le sens de さまざま, "toutes sortes de", indiquant à la fois la multitude et la variété ; もの : les choses ; on peut aussi y voir la première partie de 物悲しい, qui signifie mélancolie, tristesse, こそ s'intercalant entre 物 et 悲しい ; こそ, forme d'insistance, grammaticalement lié à la izenkei qui suit ;
悲しけれ : izenkei de 悲し, triste ;
わが身ひとつの: わが身, moi (ce "moi" pouvant être une femme, si l'on se réfère au poème de Bai Juyi) ; ひとつの : ひとつ signifie "un". S'agissant d'un être humain (わが身), on aurait pu s'attendre à ひとり, qui sert normalement à dénombrer les hommes. ひとり est ici remplacé par ひとつ par opposition à 千々, qui évoque la multitude des choses (千 = mille).
秋にはあらねど : 秋, l'automne ; にはあらね : にあり est l'équivalent du japonais moderne である, le は glissé au milieu ayant un simple rôle emphatique. Le verbe est ici à la forme négative (mizen-kei あら + ね, izenkei de la négation ず) ; ど : équivalent en bungo de けれでも, "mais", "bien que".

Je vous propose la traduction suivante :


En contemplant la lune
de mille et une choses
je ressens la tristesse
ce n'est pas pour moi seul,
pourtant, qu'est venu l'automne.


(1) les vers auxquels Oe no Chisato fait allusion sont les suivants (en japonais, je vous fais grâce de la version chinoise) : 燕子楼中 霜月の夜 秋来って只一人の為に長し, soit "Dans la tour de l'hirondelle, au soir du 11e mois (du calendrier lunaire), l'automne est venu, est-il long/dure-t-il pour elle seulement". Le poème chinois fait référence à la tristesse d'une courtisane après la mort de son maître.


Index en romaji : tsuki mireba chiji ni mono koso kanashikere wa ga mi hitotsu no aki ni ha aranedo 

2 commentaires:

CV a dit…

Bonjour,
Est-ce que vous avez débuté votre apprentissange du japonais en voulant simplement jouer au karuta?
Et l'apprenantissage des poésies, rendant aisé l'assimilation des formes grammaticales, de cette manière de faire les phrases si particulière, il ne vous restait plus qu'à compléter par une étude plus systématique?

Lili a dit…

Bonjour,

Mon intérêt pour le japonais a commencé bien avant ma découverte du Hyakunin isshu, et à vrai dire, je n'ai jamais joué au karuta. Je pense d'ailleurs que commencer l'étude de la langue par le japonais classique serait bien compliqué ! En revanche, l'étude de ces poèmes est une bonne introduction à tout un pan de la culture japonaise, où la poésie joue un si grand rôle.