mardi 19 novembre 2013

Anjin San de George Akiyama


Anjin San est un volumineux manga de George Akiyama. J'ai été séduite par la sérénité très bouddhiste qui se dégageait des quelques pages feuilletées sur le site de l'éditeur français, Le Lézard noir (qui édite aussi le Vagabond de Tokyo). En me renseignant un peu sur l'auteur, j'ai failli reculer : George Akiyama est connu pour son univers très sombre et très violent et pour quelques provocations de jeunesse (il a confessé avoir tué quelqu'un, avant de démentir). Pas le genre de personnage qui m'attire d'emblée. J'ai tout de même acheté Anjin San et je ne le regrette pas. C'est un manga lumineux qui révèle une autre facette de son auteur, même si celui-ci s'en défend en postface.




Synopsis


Il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, particulièrement dans la première partie du manga. On y découvre Anjin, un petit personnage rondouillard et apparemment banal - il revendique d'ailleurs sa banalité - dont la sagesse et la présence bienfaisante apaise les cœurs. Anjin est en fait la prononciation bouddhique de anshin (安心), qui signifie "esprit en paix, tranquille". Et l'étrange personnage, qui voyage ici et là, rayonnant de compassion, s'avère être le petit-fils de Sakyamuni. Il se retrouve bientôt accompagné d'un second personnage, Kirihito, qui le suit, attiré par son aura et son étrangeté.
La seconde partie commence lorsque Anjin et Kirihito, qui se sédentarisent provisoirement dans l'auberge d'Anjin, accueillent Hinagiku, une geisha qui rayonne autant par sa beauté que par sa gaité. Les anecdotes de cette seconde partie voient le rapprochement progressif de Kirihito et de Hinagiku ainsi que leur cheminement vers un commun épanouissement.

Commentaire


Si l'on ouvre Anjin-san en cherchant une histoire extraordinaire, on risque fort d'être déçu. Tout ici se déroule dans un cadre très quotidien, très simple. Mais plutôt qu'un enchaînement d'anecdotes, il faut voir dans ce manga des paraboles qui se complètent les unes les autres pour illustrer divers enseignements du sûtra du cœur. Anjin est l'exemple même d'un personnage ayant atteint l'éveil, libre de tout attachement, de tout jugement, non séparé des autres et capable de ce fait de leur apporter du bien-être, d'une façon toute naturelle, sans sermon et presque sans parole. Il n'y a pas de grands discours dans Anjin-san, juste des exemples très parlants - parfois cocasses - et d'éloquents silences. Ainsi, l'évolution des sentiments de Kirihito et de Hinagiku s'exprime moins par la parole, que par des gestes ou des regards. Tout le manga est un magnifique exemple de communication  以心伝心, de cœur à cœur (il s'agit là encore d'une expression bouddhiste, qui signifie que l'essentiel est ineffable, que la transmission entre maître et discipline se doit se faire de cœur à cœur). Lorsque la parole est là, elle est brève et percutante. Ainsi cette formule qu'on trouve dans le chapitre VII (La rascasse d'or, très belle parabole sur l'attachement) : "Tout tourment est un luxe". Quelle que soit la réalité, que l'on puisse y remédier ou non, se tourmenter à son sujet ne sert à rien : cela ne fait qu'ajouter de la négativité à la la négativité. En ce sens, oui, tout tourment est un luxe, et si nous pouvions nous en convaincre, nous nous épargnerions bien des peines.

Anjin n'est pourtant pas qu'un recueil d'enseignements bouddhistes. C'est aussi un manga superbement illustré. Les dessins de Hinagiku, tout particulièrement, débordent de sensualité et laissent supposer que l'auteur a pris grand plaisir à dessiner encore et encore ce personnage féminin dont on ne peut s'empêcher de tomber amoureux/se. On sent que Akiyama s'est délecté à modeler ses hanches, ses jambes et ses pieds. Hinagiku jaillit des cases, s'étend sur la page, pleine de fraîcheur et de gaîté. Elle inspire la joie comme Anjin inspire la sérénité. Et son bonheur devient celui du lecteur.

****

Anjin-san est m'a très profondément émue (et je ne dis pas cela tous les jours), probablement parce que j'ai eu la chance de lire cette œuvre à un moment où elle pouvait résonner en moi. J'espère qu'Anjin viendra me rendre visite dans les moments de doute et de tristesse. J'aimerais pouvoir un jour lui ressembler un peu. Et j'espère surtout que ce sera pour vous aussi une belle rencontre. それでは、また。

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