vendredi 15 février 2013

Saigo et Okubo, une amitié tragique

Voilà l'avant-dernier article de cette série sur le bakumatsu. Saigo Takamori (西郷隆盛,1828-1877) et Okubo Toshimichi (大久保 利通, 1830-1878) sont tous deux originaires de Kagoshima et appartiennent donc au clan Satsuma. Avec Kido Takayoshi (木戸孝允, 1833-1877) de Choshu , ils sont considérés comme les trois grands héros de la restauration Meiji (維新の三傑-いしんのさんけつ). Amis d'enfance, solidaires dans leur combat contre le bakufu, Saigo et Okubo finiront par s'opposer et connaîtront tous deux une fin tragique.


Fils d'un guerrier modeste de Satsuma, Saigo Takamori connaît une vie assez agitée. Partisan de Yoshinobu lorsque les Tokugawa se divisent pour choisir leur avant-dernier shogun, il doit ensuite fuir Kyoto lorsque les partisans du sonno-joi sont pourchassés en 1858-59. Après avoir survécu à une tentative de suicide, il est exilé dans l'île Ôshima, avant d'être rappelé par son daimyo en 1862, puis à nouveau exilé et enfin grâcié en 1864. C'est lui qui commande les troupes de Satsuma face à Choshu lors de l'incident de Kinmon no hen et de la première expédition punitive. Mais il n'accomplit sa mission qu'à contre-coeur. Comme son camarade Okubo, il est convaincu de la nécessité d'un changement de régime, et contribue à mener son clan dans le camp des adversaires du shogun. C'est l'un des principaux instigateurs de l'alliance entre Satsuma et Choshu et de la proclamation du 3 janvier 1868, qui restaure le pouvoir impérial. Il commande également les troupes qui pacifient ensuite le pays en éliminant les derniers partisans du shogun.

Okubo a une origine plus modeste encore que celle de son condisciple. Ses talents d'administrateur sont néanmoins bientôt reconnus par son daimyo et lui permettent de prendre part à la politique du fief. Avec Saigo, il s'oriente rapidement vers une politique d'opposition au bakufu.

C'est dans les premières années de la restauration Meiji que vont surgir les dissensions entre les deux hommes. Okubo, qui occupe tour à tour les portefeuilles de ministre de l'intérieur, des finances et des affaires étrangères, réforme le pays à grands pas : il s'emploie à faire réviser les traités inégaux, met en place des impôts, développe l'industrie... Saigo, de son côté, aurait préféré s'en tenir à une occidentalisation purement fonctionnelle, dirigée par un gouvernement de guerriers réformateurs. Il refuse initialement de participer au gouvernement de Tokyo, avant d'accepter un poste de conseiller et d'être nommé commandant de la garde impériale en 1872, puis maréchal de l'armée de terre. Lorsque des tensions surgissent entre le Japon et la Corée, Saigo veut saisir cette occasion de faire la guerre pour donner un exutoire aux guerriers frustrés par les réformes (suppression des fiefs, interdiction de porter le sabre...).

Okubo, qui souhaite avant tout renforcer l'assise du nouveau régime, est totalement opposé à cette guerre, tout comme Kido Takayoshi. Saigo démissionne alors de toutes ses fonctions. Il retourne à Kagoshima, où il ouvre une école privée pour les fils d'anciens guerriers, développant de la sorte une force paramilitaire. Lorsqu'en 1877 éclatent diverses révoltes d'anciens guerriers de son ancien fief, Saigo en prend la tête. Okubo décide alors d'en finir avec son ancien compagnon, se lançant dans une ultime guerre civile, la guerre du Seinan (西南戦争, litt. guerre du sud-ouest). Il faut sept mois pour mater la rébellion. Saigo, en infériorité numérique, commet plusieurs erreurs tactiques. Il est finalement tué au combat, mais Okubo, considéré comme un traître par certains hommes de son clan, ne lui survit pas lontemps : il est assassiné l'année suivante (1878). Kido Takayoshi, profondément attristé par la tournure des événements, meurt de maladie. Si l'écrasement de la rébellion a coûté fort cher (en terme de finances et de vies humaines), il a permis la réelle consolidation du nouveau pouvoir dont rêvait Okudo. Quant à Saigo, quoiqu'il ait finalement tourné le dos au sens de l'histoire, il n'en reste pas moins un héros très populaire.

Sources :  
Histoire du Japon des origines à nos jours, sous la dir. de Francine Hérail, Hermann, 2010
Dictionnaire historique du Japon, coll., Maisonneuve et Larose, 2002.
Mieru rekishi (sur NHK for schools), épisode 14,  sur Okubo et Saigo. 

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