lundi 2 avril 2012

La bombe atomique et le cinéma japonais - Rhapsodie en août de Kurosawa

Pour inaugurer cette série sur la bombe atomique et le cinéma japonais, j'ai évoqué Pluie noire de Shôhei Imamura. Nous allons continuer à explorer ce thème avec Rhapsodie en août (八月の狂詩曲) d'Akira Kurosawa (黒沢明). C'est la mémoire de la bombe qui au centre du film, ainsi que les relations entre générations.

Cette fois nous ne sommes pas à Hiroshima, mais à Nagasaki. Une grand-mère, qui vit isolée à la campagne, et dont le mari a été tué par la bombe, se découvre un frère malade, immigré à Hawai avant la guerre, qui a fait fortune avec des plantations d'ananas. Alors que ses enfants voudraient profiter de cet oncle providentiel, la vieille dame se méfie de cet étranger dont elle a tout oublié. Ses petits enfants, qui rêvent d'aller à Hawai, réussissent à la convaincre de partir après les cérémonies de commémoration du 9 août 1945. C'est alors que le fils de l'oncle d'Amérique débarque, pour célébrer avec le reste de la famille le souvenir du grand-père décédé (Richard Gere parlant japonais, c'est un régal...). Son séjour est interrompu par l'annonce du décès de son propre père, mettant fin aux projets de voyage et aux liens qui commençaient de se tisser.

La figure de la grand-mère est parfaite : vieille dame que l'on sent forte et têtue, elle vit dans sa grande maison traditionnelle, rejetant tout modernisme comme superflu. Elle raconte aux enfants de sombres histoires sur ses nombreux frères et sœurs, mais leur parle surtout de l'Eclair et de la bombe, qu'ils redécouvrent à travers elle. En visitant les lieux de mémoire de Nagasaki, ils se réapproprient une réalité dont ils n'avaient finalement qu'une connaissance vague et abstraite, et cette conscience nouvelle leur rend plus attachante la fragile survivante. Kurosawa peint avec tendresse ces enfants et adolescents ouverts sur l'univers de leur grand-mère, observateurs curieux de la vieille dame (par exemple lorsqu'elle communique en silence avec une autre survivante). Il s'acharne en revanche sur des adultes caricaturaux (les parents des enfants), qui ne songent qu'à profiter de l'aubaine que représente l'oncle d'Amérique, et qui jugent inconvenant de parler de la bombe à la famille américaine.

Ainsi Kurosawa dénonce-t-il ceux qui tournent le dos à l'histoire et qui croient nécessaire d'oublier Hiroshima et Nagasaki pour nouer de bonnes relations avec les Etats-Unis. A travers l'attitude des enfants et de la grand-mère, il montre que la mémoire n'est pas incompatible avec la réconciliation, et qu'un oubli de convenance ne peut conduire qu'à des malentendus. Le film n'est pas là pour condamner l'Amérique (le coupable, c'est la guerre, répète la grand-mère), mais bien pour inviter les Japonais à ne pas nier leur histoire. On a reproché à Kurosawa de ne pas avoir évoqué les responsabilités et les crimes du Japon pendant cette même guerre. Ce n'était évidemment pas l'objet de ce film. Mais pour une mémoire complète, une œuvre sur ce thème n'aurait certes pas manqué d'intérêt.

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Rhapsodie en août n'est pas le seul film que Kurosawa a consacré au rapport que les Japonais et lui-même entretiennent avec le nucléaire. Nous parlerons bientôt de deux autres films, Vivre dans la peur et Rêves.

1 commentaire:

La Sagesse de l'image a dit…

J'ai bien aimé votre approche du film que je trouve très "équilibrée" par rapport à d'autres critique de la presse spécialisée. Je ne trouve pas que ce soit un film mineur de Kurosawa comme je l'ai souvent lu. Au contraire je le trouve au sommet de son art.